Comment les chinois ENVAHISSENT les Etats-Unis grâce à TikTok

Les chinois.es de la classe moyenne sont de plus en plus nombreu.x.ses à traverser illégalement la frontière américano-mexicaine. Une décision motivée par un taux de chômage élevé, une absence de perspective souhaitable dans leur pays d'origine et facilitée par les réseaux sociaux, mais l'herbe est-elle plus verte ailleurs ?

TangPing 躺平
4 min ⋅ 25/05/2024

En 2023, un peu plus de 37,000 migrants chinois traversaient la frontière américano-mexicaine clandestinement, soit près de deux fois plus qu’au cours dix années précédentes réunies. Un phénomène qui, s’il doit être relativisé (les chinois représentent à peine 1,5% des 2,5 millions de clandestins qui ont traversé la frontière l’an passé), a de quoi déchaîner les passions dans le cadre des tensions entre les deux pays. Donald Trump n’a pas pu s’empêcher de se fendre d’un commentaire selon lequel ces migrants chinois, essentiellement jeunes et de sexe masculin, seraient sur le sol américain pour constituer une petite armée. Une sorte de cheval de Troie de l’Armée Populaire de Libération, en somme. Fox News, média conservateur états-unien, multiplie les articles et émissions alarmistes alertant sur l’afflux incontrôlé de clandestins chinois, allant jusqu’à émettre l’hypothèse d’un lien entre cette immigration et les cartels mexicains travaillant avec des criminels chinois pour le blanchiment de leur argent. La semaine dernière, la majorité républicaine de la Chambre des Représentants a réclamé une audience sur le sujet mettant en avant les risques d’espionnage et de trafic de stupéfiants que représenterait cette “hémorragie migratoire”. Les associations engagées contre le racisme anti-asiatique aux États-Unis veillent au grain : elles pointent du doigt un récit attisant la haine à l’égard d’une communauté souffrant encore des conséquences de la pandémie de Covid-19 (le pays a été le théâtre de plus de 2,800 actes xénophobes envers des personnes d’origine asiatique en 2021) et demeurant très éloigné de la réalité des personnes chinoises qui ont fait le choix d’immigrer illégalement sur le sol américain.

De féroces envahisseurs rattrapés par les forces du Bien (Reuters)De féroces envahisseurs rattrapés par les forces du Bien (Reuters)De nombreux posts de néo-conservateurs et républicains américains sur Twitter/X ont souligné, le lien entre cette “immigration massive” et le réseau social TikTok, y voyant une volonté du gouvernement chinois d’orchestrer l’infiltration de ses ressortissants. En effet, la plupart des chinois.es ayant traversé la frontière qui ont donné des interview à des journalistes ont déclaré avoir organisé leur périple exclusivement grâce à des informations glanées sur Douyin (le pendant chinois de TikTok, appartenant à la même société mère, ByteDance). La route la plus courue par les migrants chinois commence par l’Équateur, pays où les chinois.es peuvent se rendre sans visa, et passe par une traversée à pied du bouchon de Darien (zone de jungle et de marais de 160 km ne comportant aucune route ou infrastructure) rejoignant ainsi l’une des routes migratoires les plus empruntées et les plus meurtrières au monde. Il s’agit ensuite de rejoindre l’un des gaps dans la frontière américano-mexicaine identifiés par la filière chinoise, les plus connus se trouvant à Jacumba en Californie ou à Fronton au Texas. A chaque étape du trajet, tout ce qu’il y a savoir se trouve sur Douyin : de la localisation des points de passage de la frontière, aux contacts des guides pour traverser le bouchon du Darien, jusqu’au type de chaussures le mieux adapté pour crapahuter dans la jungle. Yang, un ouvrier ayant travaillé dans une usine de fabrication d’iPhone qui a réussi à rejoindre les Etats-Unis avec sa soeur après 40 jours de voyage, explique dans un entretien donné au journaliste Wenhao Ma qu’après quelques recherches sur zouxian (走线, littéralement “prendre la route à pied”, nom donné par les internautes à cette méthode d’entrée illégale sur le sol américain) l’algorithme de Douyin lui recommandait régulièrement du contenu très utile pour s’organiser ou vantant les joies de l’immigration aux États-Unis. Comme pour répondre à la panique morale en cours au sein de la droite états-unienne, la plateforme chinoise censure depuis peu tout type de vidéo relatif à zouxian.

Une famille dans le panier à salade. Tout se déroule comme prévu. (Reuters)Une famille dans le panier à salade. Tout se déroule comme prévu. (Reuters)La stratégie, une fois sur le sol américain, consiste à se rendre aux autorités américaines et à réclamer l’asile politique avant de s’établir dans une des nombreuses communautés chinoises auto-suffisantes comme celle de Flushing (quartier du Queens à New York) . Selon les données du ministère de la Justice états-unien, un peu moins de 60% des demandeurs d’asile chinois l’obtiennent. Les journalistes de Reuters qui ont effectué une partie de la route avec des migrants chinois font état de certains éléments dans leurs bagages évoquant une potentielle oppression dans leur pays d’origine : Bibles ou symboles chrétiens, documents pro-démocratie ou contre le Parti Communiste Chinois, etc. Ceux qui n’obtiennent pas l’asile sont placés sous une obligation de quitter le territoire (qui concerne une centaine de milliers de chinois.es aux Etats-Unis aujourd’hui). Cependant, jusqu’à très récemment, la Chine refusait de coopérer et de reprendre ses ressortissants.

Des espions sanguinaires à la solde du parti attendant de se faire récupérer par la police aux frontières (TCSM)Des espions sanguinaires à la solde du parti attendant de se faire récupérer par la police aux frontières (TCSM)On estime le prix de ce périple à 15,000 dollars soit 100,000 yuans ce qui représente près de quatre années de salaire minimum dans une grande ville côtière en Chine. Cela expliquerait la sociologie de ces personnes migrantes qui vient contrecarrer le stéréotype d’une personne en situation de grande précarité. Si l’individu susmentionné, Yang, vient de la classe ouvrière, la plupart appartiendrait plutôt à la classe moyenne tertiarisée qui a particulièrement souffert des conséquences du covid-19 : gérante de salon de coiffure, instituteur, e-commerçants, cheffe pâtissière, etc. Le propriétaire du terrain qui abrite une des failles de la frontière proche de Jacumba par laquelle passe de nombreux chinois a déclaré dans un entretien que, au vu de leurs vêtements et équipements technologiques, ces voyageurs pourraient descendre d’une croisière norvégienne. Pourtant, toutes et tous fuient une situation économique qui semble s’être considérablement dégradée malgré des indicateurs de croissance au beau fixe : le motif économique vient en général en premier parmi les personnes interrogées quant aux motivations de leur départ, mais bien souvent sont aussi cités la “liberté” que l’on associe aux Etats-Unis, et le “stress” lié au travail en Chine. Certaines mentionnent également des traumatismes subis pendant la politique “zéro covid”.

Rattrapés par la patrouille. "Peuple. Liberté" peut-on lire sur le papier. (Reuters)Rattrapés par la patrouille. "Peuple. Liberté" peut-on lire sur le papier. (Reuters)Si le fait que ces chinois.es apparaissant comme ayant des ressources économiques et culturelles immigrent illégalement est assez révélateur de la situation dans leur pays d’origine, il n’est pas dit que ce qui les attend corresponde au rêve américain espéré. La route regorge de risques, certains mortels, liés aux éléments (huit migrants chinois ont été retrouvés morts échoués sur une plage au Mexique cette année) et à la confrontation avec les gangs locaux (les rackets sont très nombreux). L’afflux de clandestins dans les communautés chinoises fait également baisser les salaires, dans des villes où l’inflation fait rage. Un chef cuisinier dans un restaurant chinois peut espérer gagner 3,500$ par mois en moyenne contre près de 4,500$ avant la pandémie. Dans les agences de recrutement et d’intérim qui prospèrent au sein des chinatowns, il y a trois à quatre candidats par poste. Certains en viennent à regretter le voyage. D’autres, heureusement, semblent s’y épanouir. Le biais des réseaux sociaux fait sans doute que les success stories sont davantage relatées. Reste à savoir si elles sont représentatives.

Une famille chinoise arrivée à San Francisco (Reportage CNA)Une famille chinoise arrivée à San Francisco (Reportage CNA)

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Par Adrien Lin

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