Bienvenue sur TangPing 躺平

Pourquoi une newsletter sur la société chinoise d'aujourd'hui

TangPing 躺平
3 min ⋅ 31/10/2023

Nous parlons en tant que français, d’origine chinoise, ou s’intéressant de près à ce qui se joue en Chine, et à qui un discours dominant sur la Chine s’est malheureusement imposé. La société chinoise se voit régulièrement caricaturée en un bloc monolithique inconditionnellement soumis à un pouvoir central omnipotent, bien souvent dans le cadre d’une opposition de valeurs. Les valeurs européennes de démocratie, d’humanisme et de liberté individuelle contre des “valeurs chinoises” largement fantasmées, lesquelles rendraient les chinois plus à même de tolérer une dictature (voir les travaux du sinologue Jean-Louis Rocca). Nous sommes tombés de nos chaises face à ce reliquat d’une certaine condescendance occidentale. Après avoir humblement accepté que, vivant dans un pays au processus démocratique irréprochable, nous fussions en position d’exiger que chaque pays adoptasse le même mode de gouvernance, nous nous sommes interrogés sur les implications de restreindre l’analyse de la société chinoise à l’aune du système politique totalitaire qui la régit.

Car, ce récit, en plus de verser dans une auto-glorification un peu facile, pose problème. Il est inaudible pour les principaux concernés. Un peuple entier se voit assimilé à une masse informe d’individus sans opinions ou acceptant docilement l’impossibilité de les exprimer, exception faite des quelques courageux.se activistes, artistes et intellectuel.le.s qui prennent de grands risques pour révéler au grand jour leurs engagements démocratiques. Il existe un ressentiment à l’égard des représentations majoritaires de la Chine en occident y compris au sein de populations intellectuelles vivant à l’étranger particulièrement imperméable voire hostiles à la propagande de Pékin (en témoignent des entretiens menés par le CERI de Sciences Po). Dans ce contexte, il est particulièrement délicat de parler de la Chine avec beaucoup de chinois.

Surtout, ce biais empêche de rendre compte du réel. Le nombre de mouvements sociaux cartographiés par le China Labour Bulletin vient contredire le stéréotype d’une population inerte et docile induit par le discours dominant, sans parler des nombreuses manifestations liées à la politique zéro-COVID dont on n’a retenu ici que l’épisode estudiantin qui affichait ses velléités pro-démocratique. Les réseaux sociaux, malgré la censure, restent un outil d’expression largement utilisé par la population pour, entre autres choses, exprimer des doléances, documenter une situation locale, etc. Ironiquement, en l’absence d’organe de presse indépendant, les autorités s’en servent elles-mêmes pour obtenir des renseignements et prendre le pouls d’un segment de la population à un moment donné. Certes, ceci est noyé dans une masse de contenu divertissant et les mouvements sociaux susmentionnés ne mettent pas en péril la stabilité du pouvoir. Nous pensons que leur existence même suffit pour être examinés attentivement dans le cadre d’une analyse de la société chinoise, au même titre que le mouvement contre la réforme des retraites en France mérite d’être analysé quand bien même il n’a pas abouti à un retrait de la réforme.

Les préoccupations de la société chinoise actuelle s’articulent autour de thématiques telles que le logement, l’accès aux soins, les inégalités, les conditions de travail, les relations de couple, l’éducation etc. L’émergence d’une classe moyenne surendettée ayant eu accès à l’éducation et à la propriété désormais en proie à une peur du déclassement face à des salaires stagnants et un marché du travail saturé n’est pas non plus sans rappeler une situation que nous pouvons vivre en France. Des mouvements d’opinion comme le mouvement tangping (littéralement, s’allonger à plat) viennent illustrer l’évolution vers une société plus réflexive. Ce mouvement prône l’oisiveté et rejette une culture du travail toxique en exhortant ses participants à s’allonger, profiter de la vie et à rejeter toute forme de responsabilité familiale ou professionnelle. Les injonction sociales autour du travail et du couple sont particulièrement impérieuses pour les jeunes chinois.e.s. S’il n’est pas unanime, ce mouvement est pour nous le signe de la grande vitalité de cette société chinoise qui s’interroge et exprime son mécontentement par rapport à un statu quo. C’est pour cette raison que notre newsletter porte son nom.

La deuxième puissance économique mondiale abriterait une société composite et complexe, dont certaines préoccupations s’approcheraient de celles de pays que l’on appelle communément “développés”. A la lumière de ce que nous avons l’habitude de lire et d’entendre sur la Chine il nous semblait important de le préciser. Notre objectif est de rendre compte de la diversité et de la complexité de cette société, en sortant de l’impasse qui consiste à tout analyser au prisme du système politique chinois. Il n’y a aucune complaisance envers ce régime. Simplement, nous choisirons d’explorer des phénomènes culturels et sociétaux, sans essayer de les situer de manière stérile par rapport au pouvoir en place, ni pour autant ignorer qu’ils ont lieu dans un état totalitaire. Cette ambition ouvertement épateuse a des allures de mission qui ne nous ressemble pas. En réalité, il s’agira également de plonger dans les méandres de la culture internet chinoise, de s’interroger sur le succès d’une série TV, de se rappeler qu’il existe en Chine un groupe de black metal feministe dont les paroles sont en grec ancien, et de vous transmettre la joie que nous procure leur simple existence.

A bientôt sur TangPing 躺平 !

TangPing 躺平

TangPing 躺平

Par Adrien Lin

Les derniers articles publiés